lundi 6 mai 2013

Eugène Despois : Le Vandalisme révolutionnaire *



Eugène Despois : Le Vandalisme révolutionnaire

*Ne vous méprenez pas sur le titre de l’ouvrage, car c’est du second degré !

Eugène Despois né le 25 décembre 1818 à Paris où il est mort le 23 septembre 1876, était un grand professeur de rhétorique, un journaliste courageux, mais c’était aussi un fervent républicain. La vignette ci-contre est celle qui figure sur sa tombe au cimetière du Montparnasse.

Le Vandalisme révolutionnaire fut publié en 1868. J’ai lu sa réédition de 1885 que j’ai trouvée dans l’une des nombreuses librairies de La Charité sur Loire, la librairie Haz'Art (15 rue du Pont) dont je remercie chaleureusement la libraire pour cet inestimable conseil de lecture.

Ce livre ancien est bien sûr introuvable en librairie (ou alors sur un coup de chance ;-)). Mais j’ai trouvé son édition originale de 1868 disponible en lecture ou téléchargement sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France !

Voici le lien pour accéder au livre :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62142605.langFR

Et si vous lisez cet article sur un ordinateur PC, vous pouvez le consulter par la visionneuse ci-dessous.




Pourquoi ai-je tenu à sortir ce livre de l'oubli et vous le présenter sur ce modeste blog ?

La Révolution est, semble-t-il, une des périodes de l’histoire de France qui a le plus souffert d’un terrible révisionnisme visant à la dénigrer et la déshonorer. A peine ses ennemis (Thermidor, l’Empire, etc.) en eurent-ils fini avec elle qu’ils n’eurent de cesse de réécrire son histoire à charge. (Lisez mon exemple en "post scriptum").

On peut comprendre pourquoi la Révolution Française fait si peur à certains. En effet, celle-ci fut un événement majeur de l’histoire de l’humanité. Hegel, par exemple, considérait qu'il y avait trois étapes essentielles le long du chemin vers la liberté : le Christianisme, la Réforme et la Révolution Française.

Mais c’est Emmanuel Kant qui décrivit le mieux cet événement considérable lorsqu’il écrivit :

"Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre."

"Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français."

(Extrait du Conflit des facultés, 1798)



Pourquoi parler de vandalisme ?

Despois a choisi ce titre provocateur pour montrer comment, bien au contraire, la Révolution Française fut créatrice et non pas destructrice.  Son travail d’érudit fut rendu possible parce que la Révolution tenait registre de tout, absolument tout dans ses moindres détails ou presque, et à l’époque où Despois effectua son titanesque travail, tous ces registres, journaux, lois, jugements, plans, etc. ainsi que de nombreux témoignages, étaient encore accessibles.

Despois détaille donc avec méthode, précisions et toujours en donnant ses sources, l’impressionnant travail réalisé plus particulièrement par la Convention. Le travail réalisé durant ces quelques années fut en effet prodigieux.

Quelques exemples ? : 


  • Enseignement primaire, secondaire et supérieur, écoles centrales, école normale, école des langues orientales, muséum d’histoire naturelle, conservatoire des arts et métiers, écoles de droit et de médecine, institutions pour les sourds-muets et les aveugles, l’Institut, fondation du musée national des beaux arts, musée des monuments français, bibliothèques, archives nationales, conservatoire de musique. 




C’est incroyable de constater toute cette frénésie de création dans cette France qui était alors assaillie par les armées de tous les despotes d’Europe, sans parler de la terrible guerre civile vendéenne fomentée par ses pires ennemis, ceux de l’intérieur. 

C’est dans cette même période étonnante qu’était réglée la pénurie de blé qui avait provoqué les paniques précédent 1789, que les départements et les communes étaient créés, et que la citoyenneté était accordée aux Juifs (ce que semble ignorer Jean François Copé, et qui est bien triste pour sa famille) et que la liberté était rendu aux esclaves ! (Robespierre préférait perdre les colonies, disait-il, plutôt que de renoncer à l’idée de donner la liberté aux noirs, alors que le despotique Napoléon se chargea bien vite de rétablir l’esclavage).

Le livre de Despois est écrit sans haine, dans le beau style du 19ème siècle, avec érudition et élégance. Mais je n’ai pu m’empêcher de songer avec amertume à toutes les ignominies que j’ai pu lire et entendre depuis des années sur la Révolution Française, y compris au sein de l’école publique dont elle est la fille bien souvent ingrate. 

Tandis que j’écrivais ce soir cet article, une énième niaiserie télévisée sur l’ancien régime était diffusée sur une chaîne publique (les malheurs de la Pompadour). Les Français semblent avoir plus de tendresse pour les représentants d’une noblesse qui a maintenu durant des siècles leurs ancêtres dans la misère l’ignorance et la servitude, qu’envers ceux qui se sont battus pour instaurer Liberté Egalité et Fraternité. 

Il y a peu de temps encore, était rediffusé un "chef d’œuvre" de révisionnisme destiné à faire pleurer dans les chaumières sur le prétendu "génocide" vendéen ! Une plainte fut même déposée au CSA à l’encontre de  cette forgerie révisionniste, mais le CSA dans sa grande inculture répondit que tous les points de vue avaient le droit de s’exprimer. A quand un documentaire pour défendre avec compassion les points de vue de la milice et des collabos sous l’occupation ?
Si vous souhaitez savoir, pourquoi et comment a débuté la guerre civile de Vendée, je vous propose de lire cet article  : Vendée, 10 mars 1793.

Il ne faut donc plus s’étonner si les Français en sont venus à confondre leurs ancêtres Sans-culottes (10.000 guillotinés) avec les Khmers rouges ! (3.000.000 de morts). 

Pourquoi ne pas comparer les 17 mois de terreur révolutionnaire, avec la terreur de l'ancien régime, qui elle dura des siècles ? 
Un exemple pour vous donner une idée :

  • Le tribunal révolutionnaire de Paris a jugé et condamné à la peine capitale 2.627 personnes en 17 mois.
  • Le massacre de la saint-Barthélémy ordonné par le roi Charles IX, a causé la mort de plus de 3.000 Protestants en une seule nuit !
Renseignez-vous également sur la terrible répression de la révolte des Rustauds, en Alsace au 16ème siècle. L'article suivant est bien écrit et bien documenté : "La ville d'Obernais assiégées par les paysans".
Lisez aussi cet article sur mon blog-notes sur les 600 ans de terreur de l'ancien régime, si bien évoqués par le grand Michelet : "600 ans de terreur de l'ancien régime".

La terreur révolutionnaire est à jamais impardonnable car elle est issue du peuple.
La terreur monarchique est normale, parfois même auréolée de gloire, quand elle n'est pas justifiée par des motifs divins !

Veuillez me pardonner si je m’échauffe, car ce faisant je retarde le moment ou vous lirez l’extrait que je vous ai choisi.

Ce passage, curieusement, ne reflète pas l’intégralité du livre. Il s’agit du début du chapitre XXII, intitulé "Les Lettres sous la Convention". Lisez-le avec attention et vous devinerez peut-être pourquoi j’ai fait ce choix. 
Comment vous expliquer ? Disons que Despois évoque en quelque sorte, l’étonnante "normalité" qui pouvait régner au sein de la population, y compris durant les moments les plus "chauds" de la Révolution.
Ce début de chapitre aurait pu s’intituler "Le parti des indifférents".



Pardonnez cette trop longue introduction. Je remercie Eugène Despois et je vous laisse découvrir ce passage de son livre (Que j’aimerais voir un jour réédité).

Bonne lecture ! ;-)




Chapitre XXII


"Les Lettres sous la Convention"





Le 5 octobre 1789, au moment où le peuple de Paris, Maillard en tête, se ruait de Versailles, Louis XVI se livrait à son plaisir favori, la chasse. Prévenu de ce qui se passait, il revint à Versailles ; mais le soir, comme c’était un prince fort méthodique et fort rigoureux observateur des petites habitudes dont il s’était fait un devoir, il eut soin d’écrire dans son journal : Tiré à la porte de Châtillon, tué quatre-vingt-une pièces. INTERROMPU PAR LES EVENEMENTS.



Une grande partie de la population parisienne n’en eût pu dire autant. Rien ne vint interrompre ses habitudes frivoles, et, même après le 10 août, même après le 21janvier, jusque dans les moments les plus sombres de la terreur, les théâtres, les lieux de plaisir, toujours remplis d’une foule empressée, semblaient témoigner que rien n’était changé en France : la frivolité de l’ancien régime avait survécu à ce régime même.



L’Almanach des Muses, l’Almanach des Grâces, paraissaient comme ci-devant, toujours bourrés de petits vers badins et pimpants. Ce dernier recueil nous donne, par exemple, la récolte des pièces galantes écloses pendant l’année 1793, et commence l’Annuaire des Grâces pour 1794 par le couplet suivant, où le contraste caractéristique du passé et du présent se marque même entre le titre de la chanson et l’indication de l’air.



A la citoyenne *** (air de la Baronne).

A la plus belle

L’amour destine ce recueil.

A ces ordres je suis fidèle,

Et je la porte avec orgueil

A la plus belle.


De son côté, l’Almanach des Muses se croit obligé de joindre aux fadeurs obligées de ces sortes de recueils, soit la Marseillaise, soit l’Hymne à la Liberté, récité au lycée par le citoyen La Harpe.

Mais malgré ces légers sacrifices aux graves préoccupations du moment, il n’en est pas moins vrai que le fond du recueil se compose du bagage ordinaire : madrigaux, épigramme, impromptus et autres délassements des temps les plus paisibles. Rien n’a pu effaroucher la muse légère ou la déterminer à changer de ton.

Quant à la littérature dramatique, c’est de 1793 que date surtout le développement extraordinaire du vaudeville.

Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie !

Qui donc alors s’abandonnait à cette joie égoïste et à cette indifférence, plus féroce peut-être en des temps si graves que les frénésies les plus extrêmes du fanatisme ?
Hélas ! c’était au moins une notable partie de la population de Paris, puisque vingt théâtres ne suffisaient point à satisfaire la curiosité du public. Sans doute les pièces de circonstance abondaient alors, beaucoup moins pourtant qu’on ne semble le croire. Sur le théâtre du Vaudeville, par exemple, récemment ouvert, on ne compte pas moins de quarante pièces représentées pendant l’année 1793, et si j’en juge par les titres donnés dans l’Almanach des Spectacles pour 1794, je ne vois guère qu’une dizaine de pièces à intentions républicaines. Néanmoins, l’Almanach des Spectacles vante le caractère patriotique de ce théâtre et des pièces que l’on y joue. « C’est, ajoute-t-il, surtout depuis le Révolution que le Vaudeville a repris sa force et son véritable caractère. » Le répertoire des autres théâtres ne semble pas en général annoncer des préoccupations plus élevées.

Ce singulier phénomène a frappé les contemporains. Saint-Just, qui a passé sa courte et sombre jeunesse à s’étonner de ne point vivre à Lacédémone, se demande la cause de cette assiduité aux théâtres les plus vulgaires, et il la trouve surtout dans les facilités accordées aux membres des sections et dans le grand nombre d’agents que le gouvernement centralisé à Paris était contraint d’y entretenir. « La Feuille villageoise et la Décade philosophique, dit M. Baron, donnent une explication en plusieurs points conforme à celle de Saint-Just. Elles y ajoutent les fortunes créées par l’agiotage sur les assignats et par les spéculations sur les biens nationaux. » Tout cela explique bien comment il se trouvait un public nombreux pouvant aller au théâtre, mais n’explique nullement ni l’intérêt léger qu’il y portait, ni le caractère frivole des pièces qu’on lui servait au milieu d’événements dont le tragique spectacle semblait de nature à absorber, non pas seulement les convictions sincères, mais la plus égoïste curiosité. Peut-être l’explication la plus simple de ce fait étrange est-elle dans l’invincible force des habitudes, et dans cette légèreté d’esprit dont tant d’épreuves diverses ont quelque peu corrigé notre race, sans la modifier autant qu’il le faudrait.

Voltaire écrivait le 2 août 1761 : «  Je m’imagine toujours, quand il arrive quelque grand désastre, que les Français seront sérieux pendant six semaines. Je n’ai pu encore me corriger de cette idée. » Voltaire eût pu ici faire un retour sur lui-même. Quelle que soit son incontestable et sérieuse persévérance que dissimulait en partie la légèreté de ses propos et quelquefois de sa conduite, lui-même était très Français en ce point, et c’est ce qui explique son influence énorme et sur ses contemporains et sur la France actuelle. Sa puissance a été surtout de rester une conviction sérieuse servie par des défauts qui sont les nôtres.

On n’imagine point d’ailleurs combien, dans une nation habituée à demeurer étrangère aux événements publics, il restait de gens se tenant à l’écart, à l’heure même où les événements publics semblaient toucher à toutes les existences et intéresser par force les esprits les plus rebelles à toute préoccupation patriotique. En temps ordinaire, ce qu’on appelle l’opinion publique est toujours celle d’une minorité. C’est l’erreur incurable des esprits convaincus ou tout au moins absorbés par une préoccupation constante, d’attribuer à tout le monde les idées qui les intéressent, et de diviser leurs contemporains en trois ou quatre catégories, parmi lesquelles ils oublient toujours de compter la plus nombreuse, celle qui, à un moment donné, déjoue tous les calculs des politiques et fait pencher la balance dans un sens inattendu, je veux dire le parti des indifférents. Cette classe de gens, qui n’assiste parfois aux plus terribles événements que comme à un spectacle, et qui, même aux jours les plus navrants de 1814 et 1815 n’a guère vu qu’un défilé d’uniformes inaccoutumés, était sans doute moins nombreuse en 1793 qu’à toute autre époque : elle n’en existait pas moins. Elle devait triompher plus tard, au temps du Directoire : mais, en attendant, elle subsistait en dehors du grand courant qui semblait emporter la société toute entière. Le mouvement des grands fleuves d’Amérique n’est sensible et violent qu’à leur centre ; mais le long de leurs rives indécises ils laissent, à moitié cachés sous une végétation abondante et parée de fleurs, d’inertes marécages et des étangs immobiles, au milieu desquels l’énorme masse passe sans remuer.






Post Scriptum : 

1/ Voulez-vous juste un simple exemple de traitement contestable de l’histoire de la Révolution Française ? 
Lisez le passage du livre de Despois décrivant dans quelles conditions s’est déroulée l’exhumation des corps des rois à la basilique de Saint-Denis durant la Révolution (pas dans le recueil de fables historiques de Loràn Deutsh). 
Essayez ensuite de savoir de quelle façon l’illustrissime Louis XIV a traité les Jansénistes de Port Royal, et leur cimetière

2/ Je remercie le sympathique Furax pour son commentaire (voir ci-dessous), mais je ne partage pas son point de vue lorsqu'il dit que "les plus grandes exactions ont été réalisées par les peuples livrés à eux-mêmes", (il cite en exemple la Saint Barthélémy). Je pense, comme Rousseau ou Hannah Arendt (mon prochain article), que le peuple des hommes est naturellement bon, ou enclin à la compassion (comme beaucoup d'autres espèces animales). C'est uniquement lorsque la société a apposé une étiquette politique raciale ou religieuse, que ce sentiment naturel envers notre prochain se trouve alors empêché. La saint Barthélémy, citée en exemple, a été organisée par le pouvoir en place (royal et religieux). Je préfère citer l'exemple des catholiques de Sancerre qui prirent le parti des protestants lors du siège de la ville par les troupes du roi. Une fois de plus, les atrocités furent du côté du pouvoir royal.