jeudi 10 décembre 2009

Bertrand Tièche : Changer le climat ou la société ?


Cet article ne devrait pas se trouver dans mon blog-notes, puisque je ne voulais pas qu'il y ait de textes ''persos''.
C'est pourtant un bon exemple de ce que je tente de démontrer dans ce blog...

J'ai écrit cet article fin novembre, parce que le sujet me tenait à coeur, et je n'ai pu résister à la tentation de le partager...
Aujourd'hui, samedi 2 janvier 2010, en écoutant l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut, sur France Culture, j'ai entendu 2 brillants intervenants débattre sur le sujet et exposer brillamment la plupart des quelques idées que j'avais en tête sur le sujet !
Il s'agissait de Michel Deguy, poète-philosophe et André Lebeau, géophysiscien et ancien directeur général de Météo France.
Je vous conseille donc la lecture de leurs livres (que je vais acheter). Vous trouverez leurs références, ici : http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/repliques/



Voici mon article :
(que les ''écolo-phobes'' se tranquillisent, je suis ''Vert'', mais je ne mange pas bio (pas souvent), j'ai encore une voiture (pour le moment) et je suis aussi ingénieur thermicien...)

Oh combien passionnant fut cet après midi du samedi 21 novembre, passé à l’Assemblée Nationale !
J'avais été invité par le Député Yves Hochet à assister au forum organisé ce jour là, en préparation du sommet de Copenhague sur le climat (je dois figurer parmi ses contacts, en tant que Vert).
Trois tables rondes étaient organisées, successivement avec des associations, puis des syndicats, et enfin des politiques (le ''meilleur'' pour la fin).
Je doute pouvoir rendre compte fidèlement dans ce billet, du détail de ce que j'ai entendu durant les quatre heures de ce débat que j'ai suivi si attentivement. Je me contenterai de vous décrire quelques grands moments, les meilleures tirades, les petites et grandes phrases et les bons mots. Je ne suis pas journaliste et je sais mon style un peu trop ''baroque''...
Mais avant de me lancer, je souhaiterais vous exposer en quelques lignes (pas trop j'espère) ma façon de réfléchir sur le sujet du réchauffement climatique.
Pas un instant je ne doute de la réalité du réchauffement, pas plus de celui que nous vivons, que de tous ceux qui l'ont précédé. Il est vrai que le dernier vrai bouleversement climatique remonte à loin, plus de 13.000 ans environ. Et le niveau de la mer n'a plus guère bougé depuis 6.000 ans. Seul le paysage garde en mémoire ces tumultueux événements. Nos ancêtres ne nous ont transmis que de vagues légendes, comme les mythes de déluges qui existent dans de nombreuses cultures antiques du Moyen-Orient par exemple. Et lorsque l'on sait quels furent les chambardements spectaculaires auxquels ce précédent changement climatique donna lieu, comme des élévations de plusieurs dizaines de mètres du niveau des mers sur de très courtes périodes, (avec des catastrophes comme le déversement de la Méditerranée dans ce qui allait devenir la Mer Noire), je crois que nous avons effectivement de très bonnes raisons de nous inquiéter.
Pour mémoire, la date de submersion de l’entrée de la grotte Cosquer, près de Marseille, a été estimée à 7 000 ans. Les peintures préhistoriques de cette grotte devenue sous-marine représentent, entre autres, de charmants pingouins, gambadant sur les rivages d'une antique Méditerranée !
Je me pose seulement de très sérieuses questions sur la manière dont nos sociétés s'apprêtent à gérer ce changement. Car lors du dernier grand réchauffement climatique, l'humanité ne comptait au grand maximum qu'une petite dizaine de million d'individus se répartissant sur les terres émergées d'une énorme planète, alors qu'à l'aube de ce nouveau réchauffement, nous allons nous retrouver 9 Milliards d'êtres humains, concentrés sur une minuscule planète au bord de l'épuisement...
Depuis l'aube des temps, lorsqu'un groupe humain se trouvait confronté à un pareil problème, que ce soit un changement de climat ou un épuisement des ressources, il trouvait la solution dans la migration. On appelait cela a postériori et selon le contexte, les invasions barbares, l'âge des découvertes, ou la colonisation. Mais, cette antique solution n'est plus possible, car nous vivons à présent dans un monde fermé, quadrillé de frontières. Rien ne servira non plus d'attaquer la tribu voisine pour voler ses réserves en pétrole ou en gaz, car celles-ci étant elles aussi, proches de l'épuisement, cela ne fera que retarder de quelques années la fin programmée.
Jamais l'humanité ne s'est trouvée confrontée à un pareil problème, si ce n'est en quelques endroits isolés, où confrontées à cette tragique impasse, des cultures se sont effondrées, avant de disparaître.
S'adapter ou disparaître, le temps est venu pour notre espèce de faire de nouveaux choix de société. Et si possible de faire ces choix dans une logique différente de celle qui depuis la préhistoire nous a conduit où nous en sommes aujourd'hui. Penser autrement ? Un véritable défi !
Hélas, si beaucoup parmi nous, commencent à avoir une idée assez claire de la situation, ils n'en restent pas moins prisonniers de ces automatismes de comportements et de pensées, hérités de notre évolution. Certains se bercent d'illusions en brandissant nombre de solutions à court terme qui ne feront que repousser de quelques décennies le ''tomber de rideau''. D'autres évoquent même des solutions qui n'existent pas mais dont ils ne doutent pas un instant qu'elles arriveront un jour, si possible après leur mort, (''Après moi le déluge !''). Quelques-uns, parmi les plus pragmatiques, achètent déjà des armes en prévision du ''dernier combat''.
Sans oublier bien sûr cet autre comportement, lui aussi hérité de notre évolution de primates prédateurs, l'esprit religieux ! Cette fatale ligne de commande de notre programme qui intervient tel un économiseur de pensée, lorsque notre intelligence se met en veille ! Le nier serait nier notre nature humaine. Raison pour laquelle, pour cet avant dernier acte, nous voyons arriver sur scène en grande tenue, le cortège des pleureuses et le chœur des flagellants ! Nous avons péché contre Mère Nature, et nous allons expier !
Ce n'est ni bien, ni mal, nous ne savons pas réagir autrement, c'est inhérent à notre nature. Inutile de se moquer.
Le dénouement se rapprochant, nous commençons à avoir beaucoup de monde sur la scène, les rois, les guerriers, les savants, les prêtres, les marchands, et j'en passe ! Toujours la même distribution, toujours les mêmes poses et mêmes tirades, et ce depuis les premiers grognement s de la horde primitive, en passant par la tragédie grecque et ses masques, jusqu'à nos parlementaires assemblées où nos mâles dominants discourent solennellement !
Le suspense est à son comble, belle distribution, beaux décors, effets spéciaux, dommage que la victime qui risque de s'effondrer sur scène à la fin, ce soit nous ! Car le spectacle promet d'être grandiose ! Nous allons vivre de grands moments !
Le sommet de Copenhague sera-t-il l'un de ceux-là ?
Les guerriers ont fourbi leurs armes, les grands prêtres ont peaufiné leurs incantations et les dignitaires de ce monde vont endosser leurs plus belles parures et nous subjuguer de leurs beaux discours. Mais qu'en ressortira-t-il ?
Le grand public saura-t-il bien discerner quels sont les enjeux, ou bien ne verra-t-il rien d'autre qu'un grand battage médiatique de plus ?
Quid de la nouvelle façon de penser ? Peut-il même y avoir une nouvelle façon de penser ? Il suffit de voir avec quel culot, ceux qui sont à l'origine de la crise financière que nous traversons (politiques et financiers) nous demandent à présent sans aucune vergogne de payer les dégâts !
Le chœur des belles âmes réclame que les pays riches remboursent ce qu'ils ont volé aux pays pauvres. Ce n'est que justice, en vérité, mais d'après vous, qui devra payer ? Ceux par exemple, qui rien qu'en France volent chaque année au fisc 30 à 40 Milliards de recette fiscales ? Bien sûr qu'il faut aider les pays les premiers touchés, à pouvoir s'adapter au changement climatique. Le montant annuel de cette aide serait, selon une première estimation, de 120 Milliards. C'est le 10ème du budget mondial de l'armement...
Toutes les sociétés humaines arrivent à un tournant, toutes, quelles qu'elles soient, où qu'elles se trouvent, des Papous de Nouvelle Guinée, aux Bobos Parisiens. Tournant vers quoi ? Là est la question, en tout cas un sacré tournant bordé de platanes, bien glissant et longeant un précipice !
Tel était donc l'objet des tables rondes qui eurent lieu ce samedi 21 novembre, à l'assemblée.
Il y avait de nombreux invités, issus d'horizons divers et opposés. Tous cependant, partageaient la même préoccupation.
Le débat fut brillamment introduit par la charmante Cécile Duflot qui cita Hamlet :''To be or not to be''. La référence à cette question existentielle du Prince du royaume de Danemark donnait bien le ton !
Cécile Duflot brossa rapidement le décor en quelques formules bien senties, puis commença la ronde des interventions. Celles-ci furent nombreuses, je ne vais donc pas dire un mot sur chacune.
Je fus particulièrement intéressé par l'intervention du représentant de la Ligue des Droits de l'Homme, J.P. Dubois, qui reprit d'ailleurs la référence à Shakespeare lorsqu'il fit remarquer qu'il y avait ''quelque chose de pourri, au royaume de la finance'', et de citer la phrase de Keynes, le célèbre économiste : «A long terme, nous serons tous morts» (un économiste ne se préoccupe en effet que du profit à court terme, pour le long terme, il doit compter sur la célèbre ''main invisible du marché'' d'Adam Smith). M. Dubois reconnut que la L.D.H. prenait le train en marche, la raison étant que celle-ci s'était rendue compte que le Développement durable devenait une nouvelle frontière à atteindre pour les droits de l'homme. Impossible de devoir choisir entre une régressions sociale et une régression environnementale, précisa-t-il. Le souci de la L.D.H. est de veiller à ce que cette mutation de la société se fasse démocratiquement. Il s'agit en effet d'un nouveau contrat social. Un nouveau contrat dans lequel il ne faudra pas renoncer au progrès, mais rendre à celui-ci son coté humain (un message aux ''écolos-intégristes'' qui prônent une réduction drastique du nombre d'être humains sur terre ?).
Je me méfie par exemple de ceux qui dans le but de changer la société, n'hésitent pas à utiliser la technique de la peur, à l'exemple de Platon qui à la fin de sa République, a inventé le mythe de l'enfer dans lequel sont punis les mauvais citoyens après leur mort), afin de convaincre, par la peur, ceux qu'il n'aurait pu convaincre par son raisonnement d'être de bons citoyens. Durant des générations, la peur de l'enfer après la mort, a servi à faire ''filer droit'' nos ancêtres. Certains parmi nous, trouvent bonne, la solution de faire peur avec l'avenir, alors que depuis l'aube des temps, l'avenir a été le seul espoir de l'humanité. A vouloir utiliser cette technique d'inquisiteur, ne risquons nous pas de finir par ressembler à ceux contre qui nous luttons ?
L'intervention de Green Peace, elle aussi fut intéressante, car ils évoquèrent cette autre aberration qui parcourt certains milieux écologistes, à savoir la solution ''nucléaire'' pour lutter contre le réchauffement climatique ! Je partage leur inquiétude, mais je pense que les écologistes ont joué avec le feu en arguant du seul CO2 comme cause principale du réchauffement climatique.
Bon nombre de scientifiques laissent dire, car ils savent que les réductions de CO2 est le meilleur moyen d'économiser le peu d'énergies fossiles qui nous reste (une quarantaine d’années selon des sources du gouvernement français). Et c'est aussi un bon moyen pour lutter contre une forme de société consumériste basée sur le pillage des ressources et l'exploitation de l'homme.
Mais qui se souvient de Tchernobyl de nos jours ? Il suffit d'aller sur le site d'AREVA qui propose un petit jeu en ligne, sur lequel on doit tuer des vaches avec un fusil rose pour protéger la planète des GES, pour comprendre où nous en sommes arrivés... (http://www.areva.com/servlet/understand/perspectives/game/jeu_capitaine_planet-c-FolderGameQuiz-cid-1063872708290-fr.html)
Nous ne pourrons surement pas nous débarrasser du nucléaire du jour au lendemain, surtout en France, mais faisons tout pour enlever rapidement notre pied de cette mine qui finira par exploser un jour.
Le nucléaire, tout comme les énergies fossiles est une ressource limitée dans le temps, au contraire des énergies ''renouvelables''. C'est donc une mauvaise solution, parce que c'est encore une solution à court terme (je ne tiens bien sûr pas compte des projets du monde merveilleux d'EDF concernant une future génération de réacteurs miraculeux, dont on se sait pas s'ils seront un jour ne serait-ce que techniquement, réalisables).
Mais pour le moment, je crois savoir que le principal problème d'EDF, c'est actuellement de pouvoir trouver des ingénieurs pour construire leurs jouets atomiques...
Qu'importe, ''business is business !'', tout le monde est d'accord pour entonner en chœur le refrain de la lutte finale contre le climat. L'essentiel est que l'argent et le pouvoir, restent entre les mêmes mains. Qu'importe si l'EPR vendu à la Finlande coûte 5.5 Milliards d'€uros au lieu des 3.5 prévus ! Qu'importe les pannes et les fuites incessantes dans les centrales existantes. Qu'importe si les déchets aux durées de vies hallucinantes s'entassent dans des coins ''improbables''. Qu'importe si les pays sans nucléaire ne cessent de déposer des brevets sur de nouvelles technologies qui elles, ont vraiment de l'avenir !
Une seule préoccupation pour nos responsables, quels qu'ils soient, garder le contrôle de cette société tellement bien rodée à l'exercice de leur volonté.
Alors, penser autrement ?
N'est-ce pas ce que tentent de faire les Verts, avec Europe Écologie ?
Quelques personnalités d'horizons politiques variés étaient donc invitées par Yves Cochet à débattre pour la troisième table ronde. Les voici détaillées par ordre alphabétique :
Sophie Auconie, Députée Nouveau Centre au Parlement Européen
François Bayrou, Président du MODEM
Dany Cohn-Bendit, co-Président du Groupe VERTS-ALE au Parlement Européen
Jacqueline Fraysse, Députée PCF des Hauts de Seine
Eric Diard, Député UMP des Bouches du Rhône
Michel Rocard, ancien premier ministre.
Il fallut attendre un certain temps avant que ce débat des politiques puisse commencer, tant les retrouvailles de Dany Cohn-Bendit et François Bayrou furent l'occasion d'un charivari journalistique. Il fallut un aimable rappel d'Edwy Plenel, (Directeur de Mediapart), chargé d'animer le débat, pour que le tumulte prît fin et que le débat commence.
Ce fut Michel Rocard qui prit le premier la parole, en sa qualité de plus ancien parmi les présents. Michel Rocard n'avait pas été autorisé par le parti socialiste à le représenter; Le PS brillait donc par son absence, tout occupé que sont les chevaliers Jedi de cet étrange parti à s'entretuer sous l'œil goguenard des sbires de l'empire UMP.
Michel Rocard commença par nous faire part de son scepticisme quant à l'avenir de la Démocratie et de son inquiétude vis à vis des signes notables de son affaissement. Il se posa même la question de l'origine de cette dérive, évoquant l'école et le journalisme...
Ce vieux sage désabusé fit aussi remarquer que l'on gouvernait de mois en moins de nos jours, le vrai pouvoir étant à présent entre les mains des médias et de la finance, et le choix des hommes politiques ne se faisant plus que sur des critères de charisme. Michel Rocard précisa même qu'il ne fallait plus poser aux hommes politiques, d'autres problèmes que ceux qui soient à la portée de leur compréhension.
Après cette pessimiste entrée en matière, Michel Rocard revint sur le sujet du débat, à savoir Copenhague, et il expliqua qu'il manquait probablement encore un an de négociations. Le mieux étant selon lui, que fût adoptée une prise de conscience du danger imminent et que la décision soit prise de prendre rendez-vous pour un nouveau sommet dans un an.
Les autres intervenants prirent ensuite leur tour de parole et énoncèrent chacun les informations et chiffres que nous sommes à présent habitués à entendre. Même le représentant de l'UMP, le Député Éric Diard reconnut qu'il s'était autrefois senti bien seul au sein de son parti, lorsqu'il tentait de soulever le problème de l'écologie parmi ses pairs !
Puis vint le tour du brillant Dany Cohn-Bendit !
Dany fit remarquer que le problème du climat posait pour la première fois en politique, le problème de la durée. ; la nature du problème interdisant aux décideurs de continuer de ne pas voir plus loin que le temps d'un mandat.
Dany était par contre plus optimiste quant à la possibilité d'un bon accord à l'issue du sommet, la messe n'étant pas encore dite, selon lui.
Il insista cependant sur la nécessité de traiter le problème par des mesures empreintes de justice et formula le souhait de voir l'Europe décider unilatéralement de mesures fortes destinées à entrainer les autres pays ; L'Europe ne devant pas jouer au poker menteur avec les autres qui attendent des annonces ''pour voir''. Dany qui a le sens des belles formules ajouta que la politique des petits pas était une tactique digne de l'école primaire.
La respectable Jacqueline Fraysse (ancienne Maire de Nanterre qui assista au massacre de son conseil municipal en 2002) représentante malgré elle du pauvre Parti Communiste Français, intervint à son tour.
Elle commença par préciser que les Grands partis de Gauche (il y en a donc encore), avaient décliné l'invitation d'Yves Cochet, en arguant du fait qu'ils redoutaient d'entretenir l'illusion d'un ''Tous d'accord''.
Jacqueline Fraysse rappela à juste raison que la société dans laquelle nous vivons n'avait pas pour but de répondre aux besoins des gens. Elle souligna par exemple le fait que le plan de relance du gouvernement ne comportait pas de logements.
Elle resta donc dans son rôle honorable, lorsqu'elle mentionna son désir de mettre en place une société plus juste.
Mme Sophie Auconie fit une brève intervention au cours de laquelle elle précisa qu'elle n'avait pas hésité à venir à ce débat et que selon elle, Copenhague permettrait au moins de sensibiliser les gens au problème.
Puis vint le tour de l'étonnant François Bayrou, qui s'il n'y prend pas garde, finira selon moi guérilleros tiers-mondiste !
Le sémillant béarnais posa à son tour la question du long terme en politique, allant jusqu'à se demander s'il nous faudrait attendre des solutions imposées par des drames !
Il aborda ensuite le problème sous l'aspect de la finance, rappelant au passage qu'en cette année 2009, il y avait eu 1000 Milliards de dollars de création monétaire ! François Bayrou développa son argumentaire sur le thème de la corruption et des paradis fiscaux, en insistant sur le fait que le marché du libre échange absolu ne permettra jamais au Tiers Monde de s'en sortir (que vous disais-je plus haut ?).
Pour appuyer les dires du ''sous-commandant Bayros'', j'ajouterai ces quelques précisions sur ce sujet qui me tient à cœur (Je viens de terminer un livre d'Eva Joly).
Une étude récente de Natixis avance que les actifs offshore – c'est-à-dire pour le compte de non-résidents, concernant de l'évasion ou dissimulation fiscale – représentent 50% de l'ensemble des actifs gérés par les grandes banques. C'est un chiffre absolument considérable. Au niveau mondial, on estime que 10.000 milliards de dollars d'actifs gérés dans le monde correspondent à ce qu'on appelle la gestion offshore...
Nous devrons, ce me semble, garder toujours ces chiffres en tête, lorsque l'on commencera à nous parler du coût de la lutte contre le réchauffement (ou lorsque l'on tente de nous culpabiliser avec le déficit de la Sécu).
François Bayrou - qui au passage rappela qu'en une journée l'État Français avait fait un chèque de 400 millions à Bernard Tapie – revint sur ce sujet un peu plus tard dans le débat en rappelant que pour sauver les banques, les États leur avait prêté de l'argent à un taux d'intérêt de 1%, argent que les banques prêtaient ensuite aux États (et à nous), à un taux de 4%.
Edwy Plenel intervint à ce moment du débat pour évoquer l'Europe. Peut-on changer quelque chose sans changer l'Europe, demanda-t-il. L'Europe n'étant plus le meilleur élève de la classe pour ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, Edwy Plenel donna les exemples de la Chine, devenue pays leader pour les énergies renouvelables, et du Brésil avec son engagement de réduire de 70% la déforestation. Et horreur ! Il compara l'impotente Europe à, je cite :''Une grosse Belgique''.
Ce fut l'occasion pour ''Maître Yoda'' (Rocard) de reprendre la parole...
Il ''satellisa'' le débat en se demandant ce qu'il faisait là, en dehors du plaisir qu'il éprouvait de s'y trouver en bonne compagnie.
A cette amère réflexion succéda une charge, elle aussi empreinte de désespoir. Michel Rocard en effet conseilla d'abord de ne ''pas trop charger la barque'' de crainte que le sommet ne rate, insistant sur le fait qu'il était vital que Copenhague réussisse. Puis il revint au secours de l'Europe, mais seulement pour lui fermer les paupières, considérant que la belle nymphe était politiquement défunte.
L'Europe doit avoir une image qui inspire le respect, affirma-t-il d'une voix de tragédien (il parlait du respect inspiré par les qualités, non pas celui inspiré par la force).
Toujours en veine de mélancolie tragique, le vieux sage en vint à évoquer la Sociale Démocratie, expliquant que celle-ci se trouvait grandement affaiblie, au moment où l'histoire lui donnait raison. Michel Rocard rappela que le Capitalisme n'était animé que par le seul goût du lucre. Et que si voter pour le capital avait pu vouloir dire à une époque, plus de chance pour le travail, cette époque était révolue car le pacte tacite entre le capital et les travailleurs avait changé. L'écart entre les salaires des patrons et ceux des salariés qui était d'un multiple de 40 autrefois, avait dépassé à présent le multiple de 400 !
L'ennemi, c'est le goût du lucre clama-t-il. Et il eu cette formule pétaradante :''La distribution des mitraillettes est trop asymétrique !''.
Difficile ensuite pour Éric Diard de trouver des petites phrases aussi ''définitives''. Il se contenta de quelques mots sur le nucléaire, auquel selon lui il ne faut pas renoncer, sans pour autant que celui-ci gêne le développement des énergies renouvelables en France. Mais que fait-il d'autre depuis des années ? Il me suffit de lire des revues professionnelles sur l'énergie, pour constater que toutes les idées, et surtout la majorité des nouveaux produits et des brevets concernant les nouvelles technologies viennent de l'étranger (et plus particulièrement de pays qui se sont détournés du nucléaire, comme l'Allemagne).
Jacqueline Fraysse posa la question de changer le système (toujours cette nostalgie du ''Grand Soir'' chère aux communistes). Elle précisa sa pensée en indiquant qu'il serait inutile de ''changer le climat'', sans changer le système.
Je ne vous ai pas encore trop parlé de l'incroyable Dany qui fourbissait ses prochaines saillies en jubilant à l'écoute de ses petits camarades.
Car après une courte et balbutiante intervention de la timide Mme Auconie, le bouillonnant Dany pris la parole.
Difficile pour moi d'en faire un résumé fidèle, car ce gars est une mitraillette à idées et à ''petites phrases'' !
Il commença narquoisement par s'étonner de l'alliance entre Jacqueline Fraysse et François Bayrou, puis en bon tribun qu'il est, il présenta les sujets qu'il allait évoquer en réaction aux propos qu'il venait d'entendre : 1, Pourquoi la sociale démocratie s'est trompée sur l'écologie. 2, Impossibilité de changer le système dans les 15 jours précédant Copenhague, mais...
Dany commença par souligner le problème de l'absence de solidarité au sein de l'Europe, et il insista sur le fait que l'Europe devait engendrer une dynamique.
''Si on doit attendre que la Chine devienne une démocratie, on peut renter à la maison !'' proclama-t-il !
Puis il fit cette remarque, aussi lucide que pragmatique, qui m'étonna par sa justesse, remarque destinée aux impatients qui veulent changer le système avant de commencer à lutter contre les effets du changement climatique : ''Les décisions qui résulteront du sommet de Copenhague, changeront le système, de par leur nature !''
Cette remarque m'étonna, car trop souvent, les politiques et autres idéologues, cherchent des solutions trop radicales ou trop parfaites, sans vouloir prendre en considération des solutions déjà existantes et acceptables par les gens. Ils cherchent à bâtir des systèmes parfaits, pour des hommes qui n'existent pas, à savoir des hommes ''parfaits''. Platon était déjà tombé dans ce travers en imaginant sa république idéale. Son élève Aristote était plus raisonnable et plus pragmatique que lui dans son ouvrage ''Les Politiques'' lorsqu'il écrivait :''Car il faut non seulement s’occuper de la constitution excellente, mais aussi de celle qui est possible, et, de même, de celle qui est plus facilement et plus communément accessible pour toutes les cités. Or en fait les uns ne font porter leurs recherches que sur la forme la plus haute et qui demande de nombreux moyens, les autres, traitant plutôt d’une forme commune et rejetant les constitutions existantes, font l’éloge de celles des Laconiens ou de quelque autre. Au contraire, il faut introduire une organisation (constitutionnelle) telle qu’à partir de ce qui existe (les gens) soient facilement persuadés et en état de la mettre en œuvre, puisque ce n’est pas une moindre tâche de redresser une constitution que d’en établir une de toutes pièces, comme c’est le cas aussi pour réapprendre et apprendre une première fois.''
En résume, il y à ceux qui veulent que la société change tout de suite et selon leurs vues, et il y a ceux qui, connaissant mieux les hommes, savent que quelques petits changements, acceptés par tous parce que ''petits'', suffisent parfois à faire basculer les choses. Dany est peut-être un Aristotélicien qui s'ignore, mais ce qui plus que certain, c'est que c'est un excellent politicien.
Je vous prie d'excuser cette énième digressions, et je retrouve Dany où je l'avais laissé. Car après une brève réponse bien argumentée sur le nucléaire, Dany entreprit de répondre au désespoir de Rocard.
''Quand va-t-il commencer à nous écouter ?'' (Nous = les Verts) S'exclama Dany Cohn-Bendit !
Et Dany d'expliquer comment la Sociale Démocratie n'avait pas su comprendre la remise en compte du productivisme, que celui-ci soit capitaliste, communiste ou socialiste ! La dynamique de la consommation est entrée bien trop profondément dans la société, nous avons un travail à faire sur nous-mêmes. Dany conclut son exposé en disant que la Sociale Démocratie était une vieille dame respectable, impressionnante, mais dépassée !
C'est le moment que choisit François Bayrou pour dire avec malice :''Entre les deux, mon cœur balance'' (Dany Cohn-Bendit et Michel Rocard). Il ajouta que les hommes étaient animés de passions, le goût du lucre en étant une, et que selon lui, la question était de savoir si les institutions doivent s'en distinguer (sous-entendu oui, bien sûr).
François Bayrou termina le débat en faisant état de son accord avec Dany sur Copenhague. Et il ajouta qu'il fallait mettre ''la pression'' sur les gouvernements.
Ce fut Yannick Jadot (ex-Greenpeace) Député Europe Écologie au Parlement Européen qui conclut le débat. Il insista sur le fait que la position française à Copenhague n'était pas assez ambitieuse. Et il rappela également que le coût français de la lutte contre les effets du climat était bien inférieur au fameux bouclier fiscal (il eut également un mot sur le milliard dépensé pour le vaccin contre la grippe H1N1...)
Je sais que j'ai été trop long, mais j'ajouterai encore quelques mots.
Le soir du 21 novembre, j'eus la curiosité de regarder le 20 H de France 2, Dany Cohn-Bendit y était invité. Le présentateur posa quelques questions ''de pure forme'' sur Copenhague, puis très vite il en vint aux sujets ''plus importants'', à savoir la réconciliation avec François Bayrou, et puis enfin, le vrai sujet de première importance, la qualification de la France pour la coupe du monde, grâce à la main de Thierry Henry...
Penser autrement ? La route sera longue...
Depuis plusieurs années que je m'intéresse à la transition énergétique, et que je lis nombre de documents, certains émanant même du gouvernement, l'idée me vient parfois, que tout est déjà réglé, et que les débats en cours ne relèvent que de la fabrication du consentement.
Souvent, je pense à cette citation d'Edward Bernays :''L’instruction généralisée devait permettre à l’homme du commun de contrôler son environnement. A en croire la doctrine démocratique, une fois qu’il saurait lire et écrire il aurait les capacités intellectuelles pour diriger. Au lieu de capacités intellectuelles, l’instruction lui a donné des vignettes en caoutchouc, des tampons encreurs avec des slogans publicitaires, des éditoriaux, des informations scientifiques, toutes les futilités de la presse populaire et les platitudes de l’histoire, mais sans l’ombre d’une pensée originale. Ces vignettes sont reproduites à des millions d’exemplaires et il suffit de les exposer à des stimuli identiques pour qu’elles s’impriment toutes de la même manière.''
Mais j'espère que je me trompe, j'espère que peut-être un jour nous arriverons à penser autrement, contre notre nature. J'espère que ce sont bien des gens comme Dany Cohn-Bendit et Yves Cochet qui ont raison.
Et je conclus ce trop long texte par cette citation de Marc Aurèle :''N'espère pas la République de Platon, mais sois content si une petite chose progresse, et réfléchis au fait que ce qui résulte de cette petite chose n'est précisément pas une petite chose ! ''
(Marc Aurèle fut le premier ''grand homme'' à se penser comme un citoyen du monde, l'univers étant pour lui comme un seul être vivant, l'homme n'en étant qu'une partie)


Post-scriptum : 
J'ai trouvé une interview de Daniel Cohn Bendit, par le journaliste Frédéric Joignot, faisant suite à ce débat à l'assemblée nationale. Elle se trouve sur son blog, au lien suivant : http://fredericjoignot.blogspirit.com/archive/2009/12/05/un-grand-entretien-avec-daniel-cohn-bendit-sur-l-ecologie-po.html


Sur le même blog, j'ai trouvé une interview de Jared Diamon, à propos de son livre paru en français sous le titre ''Effondrement''. Je vous conseille le lecture de cet article, ainsi que celle de ce formidable livre http://fredericjoignot.blogspirit.com/archive/2006/05/19/jared-diamond-comment-les-civilisations-disparaissent.html


mercredi 25 novembre 2009

Marc Aurèle : Pensées pour moi-même


Marc Aurèle, "Pensées pour moi-même"


    Marc-Aurèle (121-180), fut cet empereur romain exceptionnel, initié très tôt à la philosophie à travers la lecture d'Épictète. Il consacra malheureusement la plus grande partie de son existence à la guerre contre les Barbares, dans la région du Danube. Ce fut pourtant au cours de ces expéditions guerrières qu'il écrivit ses Pensées. Celles-ci furent réunies après sa mort sous le titre "À lui-même". Il mourut sur le front du Danube, en 180, probablement à Vienne.

Avec Marc-Aurèle, la philosophie a régné. Un moment, grâce à lui, le monde a été gouverné par l'homme le meilleur et le plus grand de son siècle ", a écrit Ernest Renan (Marc-Aurèle, ou la fin du monde antique, rééd. Le Livre de Poche, Biblio-Essais).

Toutes ses pensées sont profondes et utiles pour qui le lit.

En voici deux prisent presque au hasard :


''Pensées pour moi-même'' (VIII, 26) 

La vraie joie de l’homme, c’est de faire ce qui est propre à l’homme. Or le privilège de l’homme, c’est d’être bienveillant à l’égard de ses semblables, de surmonter les agitations des sens, de discerner les perceptions qui méritent créance, et de contempler la nature universelle et l’ensemble des faits dont elle règle le cours.



''Pensées pour moi-même'' (IX, 29)

La cause universelle est un torrent qui entraîne toutes choses. Aussi, qu’ils sont naïfs même ces prétendus hommes d’État qui s’imaginent régler par la philosophie la pratique des affaires ! Ce sont des enfants qui ont encore la morve au nez. Ô homme, que te faut-il donc ? Borne-toi à faire ce que présentement la nature exige. Agis, puisque tu le peux ; et ne t’inquiète pas de savoir si quelqu’un regarde ce que tu fais. Ne va pas espérer non plus la République de Platon ; mais sache te contenter du plus léger progrès ; et si tu réussis, ne crois pas avoir gagné si peu de chose. Qui peut en effet changer l’esprit des hommes ? Et tant qu’on ne parvient pas à modifier les cœurs et les opinions, qu’obtient-on, si ce n’est l’obéissance d’esclaves, qui gémissent, et d’hypocrites, qui feignent de croire à ce qu’ils font ? Poursuis donc maintenant ; et continue à me citer Alexandre, Philippe et Démétrius de Phalère. On verra s’ils ont bien compris ce que veut la commune nature, et s’ils ont su faire leur propre éducation. Mais s’ils n’ont eu qu’un personnage plus ou moins dramatique, je ne connais personne qui puisse me condamner à les imiter. L’œuvre de la philosophie est aussi simple que modeste. Ne me pousse donc pas à une morgue solennelle.


Petit cadeau :

Vous pouvez lire le livre entier sur cette page :



dimanche 15 novembre 2009

Nietzsche : Vérité ? Connaissance ? Art ?


Toujours je reviens à Nietzsche...

La vérité ? La connaissance ? L'art ?
"L'art" : répond Nietzsche.


    Le texte ci-dessous provient de son ouvrage intitulé : La philosophie à l’époque tragique des Grecs
Il est extrait de l'une des Cinq préfaces à cinq livres qui n’ont pas été écrits
Celle-ci se nomme : ''La passion de la vérité''

Ci-contre, La Vérité sortant du puits d'Edouard Debat-Ponsan

Ci-dessous, l'extrait du livre :

"La vérité ! Folie visionnaire d’un dieu ! Qu’importe aux hommes la vérité !

Et qu’était-ce donc que la "vérité" héraclitéenne !
Et où est-elle partie ? Un rêve envolé, effacé des masques de l’humanité avec d’autres rêves !... Elle n’a pas été la première !
Peut-être un démon impassible ne saurait-il trouver, face à tout ce que nous nommons de ces fières métaphores : "histoire universelle", "vérité" et "gloire", que ces mots :
"En quelque coin reculé de l’univers éparpillé dans les scintillements d’innombrables systèmes solaires, il y eut un jour un astre sur lequel des animaux doués d’intelligence inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus trompeuse de l’histoire universelle, mais ce ne fut qu’une minute. A peine la nature eut-elle le temps de respirer que l’astre se figea ; et les animaux intelligents durent mourir. Leur temps certes était venu : car bien qu’ils se fussent flattés d’avoir déjà de grandes connaissances, ils en étaient arrivés, à leur grande déception, à découvrir, en fin de compte, que toutes leurs connaissances étaient fausses. Ils périrent et disparurent avec la mort de la vérité. Tel fut le sort de ces animaux voués au désespoir, qui avaient inventé la connaissance."

Tel serait le destin de l’homme, s’il n’était précisément qu’un animal connaissant ; la vérité le pousserait au désespoir et à l’anéantissement : la vérité de sa condition d’éternel condamné à la non-vérité. Mais l’homme se contente de sa seule foi dans la vérité accessible, dans l’illusion toute proche qui lui inspire une confiance absolue. Ne vit-il pas au fond grâce à la perpétuelle illusion qu’il subit ? La nature ne lui dissimule-t-elle pas la plupart des choses, et, surtout les plus proches, comme son propre corps, dont il n’a qu’une « conscience » fantasmagorique ? Il est prisonnier de cette conscience, et la nature a jeté la clef. O fatale curiosité du philosophe qui le pousse à jeter un regard par une fente de cette cellule, sa conscience, vers son extériorité et ses soubassements : peut-être pressent-il alors combien l’homme s’appuie sur un fond de voracité, d’insatiabilité, de dégoût, de cruauté, de criminalité, et poursuit ses rêves, attaché sur le dos d’un tigre.

"Laissez-le attaché", crie l’art. "Réveillez-le", crie le philosophe, dans sa passion de la vérité. Mais tandis qu’il croit secouer le dormeur, il sombre lui-même dans une somnolence magique encore plus profonde ; et peut-être rêve-t-il alors des "idées" ou de l’immortalité. L’art est plus puissant que la connaissance, car c’est lui qui veut la vie, tandis que le but ultime qu’atteint la connaissance n’est autre que… l’anéantissement.


Jean Meslier : Testament d'un abbé athée


Jean Meslier (1664-1729) : Testament



Curé d’Etrépigny et de But en Champagne, natif du village de Mazerni dépendant du Duché de Mazarin, était le fils d’un ouvrier en serge (étoffe de laine) ; élevé à la Campagne, il fit néanmoins ses études et il parvint à la Prêtrise.
C'était un rigide partisan de la justice, et toute sa vie il souffrit de devoir pratiquer et enseigner une religion qu'il détestait. C'est pourquoi il écrivit ce poignant testament, dans lequel il justifia son mépris de la religion chrétienne, comme de toutes les autres.

C'est lui, qui aurait dit : "L’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier des tyrans aura été pendu avec les tripes du dernier prêtre".


Vous pouvez retrouver l'intégralité de son testament ici : http://classiques.uqac.ca/collection_documents/meslier_jean/testament/testament.html


Et vous pouvez bien sûr consulter l'article que lui consacre Wikipedia ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Meslier

Voici donc l'avant propos et un extrait du chapitre II


Avant propos



Vous connaissez, mes frères, mon désintéressement ; je ne sacrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si j'ai embrassé une profession si directement opposée à mes sentiments, ce n'est point par cupidité : j'ai obéi à mes parents. Je vous aurais plus tôt éclairés si j'avais pu le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j'avance. Je n'ai point avili mon ministère en exigeant des rétributions qui y sont attachées.
J'atteste le Ciel que j'ai aussi souverainement méprisé ceux qui se riaient de la simplicité des peuples aveuglés, lesquels fournissaient pieusement des sommes considérables pour acheter des prières. Combien n'est pas horrible ce monopole ! Je ne blâme pas le mépris que ceux qui s'engraissent de vos sueurs et de vos peines témoignent pour leurs mystères et leurs superstitions ; mais je déteste leur insatiable cupidité et l'indigne plaisir que leurs pareils prennent à se railler de l'ignorance de ceux qu'ils ont soin d'entretenir dans cet état d'aveuglement.
Qu'ils se contentent de rire de leur propre aisance, mais qu'ils ne multiplient pas du moins les erreurs, en abusant de l'aveugle piété de ceux qui par leur simplicité leur procurent une vie si commode. Vous me rendez sans doute, mes frères, la justice qui m'est due. La sensibilité que j'ai témoignée pour vos peines me garantit du moindre de vos soupçons. Combien de fois ne me suis-je point acquitté gratuitement des fonctions de mon ministère ! Combien de fois aussi ma tendresse n'a-t-elle pas été affligée de ne pouvoir vous secourir aussi souvent et aussi abondamment que je l'aurais souhaité ! Ne vous ai-je pas toujours prouvé que je prenais plus de plaisir à donner qu'à recevoir ? J'ai évité avec soin de vous exhorter à la bigoterie ; et je ne vous ai parlé qu'aussi rarement qu'il m'a été possible de nos malheureux dogmes. Il fallait bien que je m'acquittasse, comme Curé, de mon ministère. Mais aussi combien n'ai-je pas souffert en moi-même, lorsque j'ai été forcé de vous prêcher ces pieux mensonges que je détestais dans le coeur ! Quel mépris n'avais-je pas pour mon ministère, et particulièrement pour cette superstitieuse messe, et ces ridicules administrations de sacrements, surtout lorsqu'il fallait les faire avec cette solennité qui attirait votre piété et toute votre bonne foi ! Que de remords ne m'a point excités votre crédulité ! Mille fois sur le point d'éclater publiquement, j'allais dessiller vos yeux ; mais une crainte supérieure à mes forces me contenait soudain, et m'a forcé au silence jusqu'à ma mort.

Chapitre II : Preuves tirées des erreurs de la foi (extrait)


Les Mahométans, les Indiens, les Païens, en allèguent en faveur de leurs Religions aussi bien que les Chrétiens. Si nos Christicoles font état de leurs miracles et de leurs prophéties, il ne s'en trouve pas moins dans les Religions Païennes que dans la leur. Ainsi l'avantage que l'on pourrait tirer de tous ces prétendus motifs de crédibilité se trouve à peu près également dans toutes sortes de Religions.

Cela étant, comme toutes les histoires et la pratique de toutes les Religions le démontrent, il s'ensuit évidemment que tous ces prétendus motifs de crédibilité, dont nos Christicoles veulent tant se prévaloir, se trouvent également dans toutes les Religions, et par conséquent ne peuvent servir de preuves et de témoignages assurés de la vérité de leur Religion, non plus que de la vérité d'aucune : la conséquence est claire.

2°. Pour donner une idée du rapport des miracles du paganisme avec ceux du Christianisme, ne pourrait-on pas dire, par exemple, qu'il y aurait plus de raison de croire Philostrate en ce qu'il récite de la vie d'Apollonius, que de croire tous les Evangélistes ensemble dans ce qu'ils disent des miracles de Jésus-Christ, parce que l'on sait au moins que Philostrate était un homme d'esprit, éloquent et disert, qu'il était secrétaire de l'Impératrice Julie, femme de l'Empereur Sévère, et que ç'a été à la sollicitation de cette Impératrice qu'il écrivit la vie et les actions merveilleuses d'Apollonius ? marque certaine que cet Apollonius s'était rendu fameux par de grandes et extraordinaires actions, puisqu'une Impératrice était si curieuse d'avoir sa vie par écrit ; ce que l'on ne peut nullement dire de J.‑C., ni de ceux qui ont écrit sa vie, car ils n'étaient que des ignorants, gens de la lie du peuple ; de pauvres mercenaires, des pêcheurs qui n'avaient pas seulement l'esprit de raconter de suite et par ordre les faits dont ils parlent, et qui se contredisent même très souvent et très grossièrement.

À l'égard de celui dont ils décrivent la vie et les actions, s'il avait véritablement fait les miracles qu'ils lui attribuent, il se serait infailliblement rendu très recommandable par ses belles actions : chacun l'aurait admiré, et on lui aurait érigé des statues, comme on a fait en faveur des dieux ; mais au lieu de cela on l'a regardé comme un homme de néant, un fanatique, etc.

Josèphe l'historien, après avoir parlé des plus grands miracles rapportés en faveur de sa nation et de sa Religion, en diminue aussitôt la créance et la rend suspecte, en disant qu'il laisse à chacun la liberté d'en croire ce qu'il voudra : marque bien certaine qu'il n'y ajoutait pas beaucoup de foi. C'est aussi ce qui donne lieu aux plus judicieux de regarder les histoires qui parlent de ces sortes de choses comme des narrations fabuleuses. Voyez Montaigne et l'auteur de l'Apologie des grands hommes. On peut aussi voir la relation des missionnaires de l'île de Santorini : il y a trois chapitres de suite sur cette belle matière.

Tout ce que l'on peut dire à ce sujet nous fait clairement voir que les prétendus miracles se peuvent également imaginer en faveur du vice et du mensonge, comme en faveur de la justice et de la vérité.

Je le prouve par le témoignage de ce que nos Christicoles mêmes appellent la parole de Dieu, et par le témoignage de celui qu'ils adorent : car leurs livres, qu'ils disent contenir la parole de Dieu, et le Christ lui-même qu'ils adorent comme un Dieu fait homme, nous marquent expressément qu'il y a non seulement de faux Prophètes, c'est-à-dire des imposteurs qui se disent envoyés de Dieu et qui parlent en son nom, mais nous marquent expressément encore qu'ils font et qu'ils feront de si grands et si prodigieux miracles que peu s'en faudra que les justes n'en soient séduits. Voy. Matthieu, XXIV, 5, 11, 24, et ailleurs.

De plus, ces prétendus faiseurs de miracles veulent qu'on y ajoute foi, et non à ceux que font les autres d'un parti contraire au leur, se détruisant les uns les autres.




PS : Je me suis permis d'ajouter un commentaire à ce texte, afin d'exposer ma modeste opinion sur le sujet de l'athéisme (voir ci-dessous)

samedi 14 novembre 2009

d'Holbach : La Contagion sacrée


Paul-Henri Thiry, baron d'Holbach (1723-1789)
La Contagion sacrée
Ou Histoire naturelle de la superstition
(Edition : coda poche)

Voici un baron philosophe que j'aime beaucoup. Il est trop peu connu à mon goût. Serait-ce parce qu'il était allemand, ou parce qu'il était athée ?






" Tout système religieux fondé sur un dieu si jaloux de ses droits qu'il s'offense des actions et des pensées des hommes, un dieu vindicatif qui veut qu'on défende sa cause, une telle religion, dis-je, doit rendre ses sectateurs inquiets, turbulents, inhumains, méchants par principes et implacables par devoir.

Elle doit porter le trouble sur la Terre, toujours remplie de spéculateurs dont les idées sur la divinité ne s'accorderont jamais, elle doit appeler les peuples au combat toutes les fois qu'on leur dira que l'intérêt du Ciel l'exige. Mais Dieu ne parle jamais aux mortels que par des interprètes, et ceux-ci ne le font parler que suivant leurs propres intérêts ; et ces intérêts sont toujours très opposés à ceux de la société.

Le vulgaire imbécile ne distinguera jamais son prêtre de son dieu. Dupe de sa confiance aveugle, il n'examinera point ses ordres, il marchera tête baissée contre ses ennemis, et sans s'informer jamais du sujet de la querelle (qu'il serait d'ailleurs incapable d'entendre), il égorgera sans scrupule ou s'exposera à mourir pour la défense d'une cause dont il n'est point instruit. Sa fureur se proportionnera néanmoins, à la grandeur du dieu qu'il croit intéressé dans la querelle.

Et comme il sait que ce dieu est tout-puissant et que tout lui est permis, il ne mettra point de bornes à sa propre haine, à sa férocité : il les regardera comme des effets légitimes du zèle que son dieu doit exciter dans ses adorateurs. Voilà pourquoi les guerres de religion sont les plus cruelles de toutes. En un mot, toute âme en qui le fanatisme religieux n'a point éteint les sentiments de l'humanité, est brûlée d'indignation et déchirée de pitié à la vue des barbaries, des perfidies et des tourments recherchés que la fureur religieuse a fait inventer aux hommes.

Ce fut communément au nom de Dieu et pour venger sa gloire que les plus grands forfaits se sont commis sur la Terre. Si je parcours la Terre en demandant à chacun de ses habitants ce qu'il pense de la bonté, de la justice, de la douceur, de la sociabilité, de l'humanité, de la bonne foi, de la sincérité, de la fidélité de ses engagements, de la reconnaissance, de la pitié filiale, etc, sa réponse ne sera point équivoque : chacun approuvera ces qualités, il les jugera nécessaires, il en parlera avec éloge.

Mais si je lui demande, ce qu'enseignent les prêtres, ce que disent les lois et ses souverains, ce que ses usages demandent de lui : jamais nous ne pourrons nous entendre, jamais nous ne tomberons d'accord sur rien.


Chapitre XV page 216
De l’inutilité et de l’impossibilité de corriger ou de réformer la superstition
Des remèdes efficaces que l’on peut lui opposer

De tous les liens qui attachent les hommes à la religion, l’habitude est le plus fort. L’éducation identifie avec nous les opinions les plus étranges, nos premières idées nous restent communément toute la vie. Elles ne nous choquent point dès que nous les avons reçues dans notre enfance, dès que nous les voyons autorisées par l’exemple, par l’opinion publique, par les lois, et surtout lorsque nous les voyons munies du sceau de l’Antiquité.
Ainsi, tout concourt à rendre la superstition chère aux hommes ou à les maintenir dans une honteuse inertie qui les empêche de rien examiner. En matière de religion, presque tout le monde est peuple. Les grands et les riches, occupés de leurs affaires ou de leurs plaisirs, ne songent pas plus que le vulgaire à examiner les fondements de leurs opinions. Presque personne d’entre ux ne se trouve assez gêné par sa religion pour se révolter contre elle. On la quitte et on la reprend suivant que les passions l’ordonnent ; ses spéculations paraissent sacrées à tout le monde, mais l’intérêt le plus faible l’emporte sur elles dans la pratique ; elles n’influent sur la conduite que lorsqu’elles s’accordent avec les passions ou qu’elles les justifient.
C’est ainsi que la religion devient une arme sûre pour nuire aux hommes sans jamais leur fournir des remèdes utiles. Le dieu bon les invite à mal faire, le dieu vengeur et méchant les rends insensés et cruels sans les rendre meilleurs.
Bien des gens sont convaincus de l’utilité et de la nécessité d’une religion, très peu en connaissent les dangers. Les souverains, ou superstitieux ou tyrans, la regardent comme l’appui de leur pouvoir sans vouloir s’apercevoir qu’elle devient leur ennemie dès qu’ils refusent de se rendre ses esclaves.
Les personnes les plus détrompées d’ailleurs des préjugés religieux ne laissent pas de se persuader que la religion est nécessaire pour contenir le peuple. Cependant, ce peuple, sans avoir rien examiné, est toujours prêt à se soulever à la voix de ses prêtres dès qu’on lui dit en gros que sa religion est attaquée. En un mot, les erreurs religieuses acquièrent une solidité inébranlable parce que jamais on ne peut les attaquer sans péril, tandis que ceux qui les défendent sont applaudis, honorés, récompensés. Tout semble donc conspirer à donner à la religion des défenseurs ardents et à décourager ses adversaires.


De nombreux livres de ce sympathique baron se trouvent disponibles chez nos amis sceptiques du Québec :